L'entraînement
"Bon-hon, fit le sergent Côlon, ceci, les gars, c'est votre bâton, également désigné sous les noms de goumi ou matraque de service." Il marqua une pause afin de se rappeler son séjour à l'armée, et sa figure s'épanouit. "Het vous en prendrez soin, brailla-t-il. Vous mangerez havec, vous coucherez havec, vous...
- 'scusez.
- Qui a dit ça ?
- En dessous. C'est moi, l'agent Bourrico.
- Oui, mon pote ?
- Comment on mange avec, sergent ?
Le ressort fier-à-bras du sergent Côlon se ramollit d'un coup. Il se méfiait de l'agent Bourrico. Il flairait en lui le fauteur de troubles. "Hein ?
- Ben, est-ce qu'on s'en sert comme couteau, comme fourchette, coupé en deux pour faire des baguettes ou quoi ?
- De quoi tu causes ?
- Excusez-moi, sergent ?
- Coment couche-t-on avec, exactement, sergent ?
- Ben, je... Je voulais dire... Caporal Chicque, arrete de ricaner tout de suite ! " Côlon rajusta son plastron et décida d'aborder un autre chapitre.
"Bon, ce truc, là, c'est un mahannequin, ou maharionnette, ou heffigie... (il montra du doigt une forme vaguement humanoïde, faite de cuir et bourrée de paille, montée sur un piquet) qui porte le surnhom d'Harthur, pour le maniement d'harmes, c'est à ça qu'il sert. Avancez, agent Angua. Dites-moi, agent Angua, est-ce que vous croyez que vous pourriez tuer un homme ?
- Combien de temps on me donne ?
On fit une pause, le temps de ramasser le caporal Chicque et de lui donner des tapes dans le dos jusqu'à ce qu'il se calme.
"Très bien, reprit le sergent Côlon, ce que vous allez faire maintenant, c'est prendre votre bâton comme ça et, quand je dis un, vous approcher vivement d'Harthur, puis quand je dis deux, le congner vite fait sur la tronche. Hun... deux..."
Le bâton rebondit sur le casque d'Arthur.
"Parfait, une seule erreur. Quelqu'un peu m'dire laquelle ? "
Tout le monde fit non de la tête.
Par-derrière, répondit lui-même le sergent Côlon. On leur tape dessus par-derrière. Pas la peine de prendre des risques, hein ? A ton tour, agent Bourrico.
- Mais ... sergent ...
- Allez."
Tout le monde le regarda faire.
"On pourrait peut-être aller lui chercher une chaise ? " proposa Angua au terme de quinze secondes embarrassantes.
Détritus ricana.
"Lui trop petit pour faire garde ", dit-il.
L'agent Bourrico cessa de sauter sur place.
" 'mande pardon, sergent, fit-il, c'est pas comme ç que font les nains, voyez ?
- C'est comme ça que font les gardes, répliqua le sergent Côlon. D'accord, agent Détritus... salue pas... à ton tour."
Détritus tint le bâton entre ce qu'il faut bien, techniquement, appeler le pouce et l'index, et l'abattit sur le casque d'Arthur. Il fixa d'un oeil songeur le tronçon qui lui restait. Puis il ferma son... poing, faut d'un terme plus adéquat, et asséna une série de coups sur ce qui ne fut plus très longtemps la tête du mannequin, jusqu'à ce que le piquet se retrouve enfoncé d'un mètre dans le sol.
" Maintenant le nain, il pouvoir essayer", dit-il.
Suivirent cinq autres secondes embarrassantes. Le sergent Côlon se racla la gorge.
" Bon, oui, on peut le considérer en état d'arrestation, je crois, fit-il. Prends note, caporal Chicque. Agent Détritus - salue pas ! - , retenue d'une piastre pour perte de bâton. Et faut en principe interroger ensuite le suspect."
Il contempla les restes d'Arthur.
" Je crois que c'est p't-être maintenant le bon moment pour une démonstration des subtilités du tir à lharc", annonça-t-il.
© Terry Pratchett
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