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Pratchett : Ses Prophètes, Terry Pratchett, Multimondes juin-juillet 1999

Cette interview est extrait d'un article paru dans Multimondes n°3 de juin-juillet 1999. Reproduit ici avec l'aimable autorisation de l'éditeur, Hexagonal.

C'est à l'occasion de la sortie du jeu Discworld Noir que GT Interactive nous a proposé d'interviewer Terry Pratchett, l'auteur de la saga du Disque-monde. La rencontre a eu lieu dans une auberge comme les affectionne Pierre Dubois, située à Salisbury (au sud-ouest de Londres). Au "Red Lion" nous avons pu faire connaissance avec l'équipe qui conçoit le jeu, avant d'être amenés dans une salle de réunion où nous attendaient un lunch et Terry Pratchett. C'est un personnage, le bougre ! Chargé de communication pour l'industrie nucléaire anglaise durant une quinzaine d'années, il avait de nombreuses histoires délirantes à raconter (nous vous les gardons pour une prochaine fois).

Terry Pratchett MultiMondes : J'ai lu dans votre biographie qu'au départ vous ne vous trouviez aucun talent particulier pour l'écriture tacatac... tacatac... tacatac... tacatac... tacatac... [NDLR : Désolé, un portable a brouillé mon dictaphone, et je ne me souviens plus de ce que j'ai dit]... Vous avez écrit votre premier livre il y a environ vingt ans, n'est-ce pas ?
   Terry Pratchett :
En réalité, je dois dire que c'est faux. J'ai écrit ma première nouvelle à l'âge de treize ans et elle a été publiée dans un magazine de science-fiction. J'ai écrit mon premier roman à dix-sept ans, et j'ai été publié alors que j'avais vingt ans. J'en ai écrit deux autres au cours des dix années qui ont suivi. Et ça s'est plutôt bien vendu. Puis, j'ai écrit le premier livre de la série Disque-monde il y a environ seize ou dix-sept ans. Et j'ai commencé à très bien vendre; après quoi les ventes sont montées très vite.

MM : Vous avez commencé par travailler dans d'autres domaines avant de décider d'écrire ?
   T.P. :
L'écriture était pour moi un passe-temps. Mais à l'époque où le troisième livre - Equal Rites - est sorti, j'étais en mesure de gagner plus d'argent avec mon passe-temps qu'avec mon travail. Alors, il y a douze ans, j'ai démissionné de mon travail, et depuis je suis écrivain à plein temps.


C'est qui, proquo ?

MM : Comment avez-vous rencontré Paul Kidby, l'illustrateur ?
   T.P. :
C'est une question intéressante. Avez-vous vu le travail de Paul Kidby ?

MM : Oui, en France on peut trouver le artbook qu'il a publié chez Paper Tiger.
   T.P. :
Heu, non. Il y a deux... ils sont deux... Ah, c'est difficile à expliquer... il y a Josh Kirby, et il y a Paul Kidby.

MM : Oui, en fait je connais Paul Kidby, parce qu'il a fait ça [je lui montre le dessin de couverture de GURPS Discworld].
   T.P. :
Mais... est-ce que Paper Tiger a publié ça ?

MM : Oui. En fait non, mais il y a beaucoup d'autres illustrations de Paul Kidby sur le Disque-monde dans un recueil.
   T.P. :
Mais il y aussi Josh Kirby.

MM : Non, je suis sûr que c'est Paul Kidby.
   T.P. :
Paul Kidby a fait ça [il me remontre le même dessin].

MM : En France, toutes les couvertures de vos livres sont de lui.
   T.P. :
Vous êtes sûr ? Vous êtes sûr qu'il a fait des couvertures ?

MM : Oui [je lui montre un de ses livres en français].
   T.P. :
Non. Je vois où est le problème. ça c'est de Josh KIR-by [il montre le livre], ça c'est de Paul KID-by [il montre GURPS Discworld]. Les couvertures, toutes les couvertures, sont de Josh KIR-by qui a fait les livres chez Paper Tiger. Paul KID-by, c'est quelqu'un d'autre.

MM : Là je comprends [silence]... Je me suis trompé. Je croyais que c'était le même.


De Kidby à Kirby
(ou l'inverse ?)


   T.P. :
Un de mes amis disait que Paul Kidby était mon bras de dessinateur. La plupart de ses personnages sont exactement comme je les ai imaginés. Le sorcier Rincevent et Deuxfleurs, ils sont magnifiques. Josh Kirby faisait de très bonnes couvertures, mais ses personnages n'étaient pas forcément comme je les imaginais. Paul Kidby a fait beaucoup d'autres choses pour le Disque-monde.

MM : Dans les guides par exemple...
   T.P. :
Oh oui. Il a fait des cartes, il a fait des posters...

MM : Alors pourquoi n'a-t-il pas fait les couvertures ?
   T.P.
[dubitatif] : Avez-vous compris cette histoire d'identité ?

MM : Oui... [hésitant]
   T.P. :
Bien. Alors on a commencé avec Josh. Ses couvertures étaient bien reconnaissables comme... les pubs Coca Cola, typiquement Coca Cola. Et puis il fallait des couvertures de Josh Kirby sur les livres de Terry Pratchett. Si on avait arrêté, les gens auraient dit : c'est quoi ça ?

MM : Ainsi, vous avez rencontré Kirby, heu... Kidby après avoir publié votre premier livre.
   T.P. :
Oh, Kidby... Josh, heu... Paul Kidby, KID-by ne s'est présenté qu'il y a trois ou quatre ans. Il a envoyé à mon éditeur une ou deux illustrations. L'une d'elle est dans ce livre, c'est le guet de la ville. Alors nous avons dit : ce type est vraiment bien, voyons ce qu'il peut faire. Il a donc fait beaucoup de choses pour GURPS Discworld, et je suis vraiment très content de son travail. C'est un artiste formidable et c'est lui qui a le mieux traduit en image mon idée du Disque-monde. La façon qu'il a de jouer avec différents styles est magnifique. Josh KIR-by illustre en fait des livres fantastiques et de science-fiction depuis ces deux cents dernières années. Il a fait beaucoup plus de choses que ce que les gens pensent.

MM : Mais en France, les gens ne le connaissent que par vos livres.
   T.P. :
Exactement, on pense le connaître parce qu'on dit "Josh Kirby dessine comme ça". Mais lui aussi a beaucoup de styles et il vit de ses couvertures de livres depuis... oh, quelque chose comme... je ne sais pas... trente ans peut être.



En route vers la civilisation

Terry Pratchett, toujours ! MM : Le chiffre huit est vraiment très important dans certains de vos livres. Alors, que vous est-il arrivé de spécial à l'âge de huit ans ?
   T.P. :
Ha ! J'utilise seulement le huit parce que je trouve que c'est un chiffre intéressant. Je ne crois pas qu'il se soit passé quelque chose ; en fait je ne peux pas me souvenir d'une époque si lontaine. Il y a quanrante-deux ans, rendez-vous compte...

MM : Vous avez mis beaucoup d'éléments du monde réel dans vos romans du Disque-monde. Est-ce parce que vous vous contentez de vous inspirer du réel, ou bien avez-vous un message ?
   T.P. :
Ce serait un moyen plutôt stupide et affligeant de dire que j'ai un message à faire passer. [silence] Si les gens voient un message dans mes livres, alors c'est qu'il y en a un. S'ils n'en voient pas un, ce n'est pas moi qui vais le leur dire. Si j'ai quelque chose à dire, c'est dans mes livres.
   Mais en matière de fantastique, on peut emprunter au monde réel en le déguisant. Et comme la démarche se fait sous le couvert du fantastique, cela peut échapper à la plupart des gens. Dans le livre que je suis en train d'écrire, il y a le commandant Vimaire du guet et son sergent le troll qui voyagent très loin à travers le Disque-monde jusqu'à un endroit appelé Überwald. Cet endroit est très similaire à la Transylvanie - et son nom a le même sens : "au-delà de la forêt". C'est un pays de vampires et de loups-garous d'où viennent - d'après les mauvaises langues - des familles entières de trolls. Et ils vont séjourner dans un chalet où il y a beaucoup de trophées sur les murs, parmi lesquels une tête de troll. Elle remonte à l'époque où les trolls étaient chassés.
   Maintenant, on ne coupe plus les têtes, on est tous civilisés. Cela montre à quel point les gens changent avec le temps. Le guet, par exemple, est pleine de nains, de trolls et de zombis - et ce sont tous des policiers. Le sergent troll serre même la main d'un nain (les nains et les trolls sont des ennemis de toujours). Et le troll dit : "Je n'ai jamais serré la main d'un nain. - Mais ce n'est pas pareil, répond l'autre, vous êtes un policier." Cela signifie que lorsqu'on entre dans la civilisation, dans la cité, on est citoyen. Ainsi le guet est une métaphore, ils sont du guet, c'est leur premier rôle. Ils pensent comme des membres du guet. [silence]
   Vous savez, en Angleterre, nous n'avons pas beaucoup de policiers noirs. Mais j'ai connu un noir qui était policier depuis un certain temps ; et il disait qu'il en était venu à penser aux noirs comme des nègres. En fait, il pensait en policier et il ne fréquentait que des policiers ; et il ne pensait même plus à ce qu'il faisait. Ainsi, on peut utiliser le fantastique pour dire des choses en douceur sur la société.


La troisième guerre mondiale n'aura pas lieu ?

   Dans Jingo, par exemple, on voit le danger de penser que parce qu'il y a un sauveur il doit être noir, ou bleu, ou vert. Que quelqu'un soit noir ne signifie pas qu'il est mauvais, ni qu'il est bon. Cela veut seulement dire que c'est quelqu'un d'autre. Il peut être bon, ou il peut être mauvais. Si vous commencez à penser que parce qu'il est noir, il doit être bon, alors vous ne lui accordez pas le droit d'être un être humain.
   Prenons un autre exemple : nous n'aimons pas les politiciens, nous haïssons les politiciens. D'un autre côté, on n'est pas en guerre. Et combien de temps cela prendrait pour que la Grande-Bretagne se retrouve en guerre contre la France ? Environ trente secondes, je pense. Un gros titre dans les journaux suffirait à déclencher ça. Mais, à cause de ces satanés politiciens, il y a très peu de chances que nous soyons en guerre. Alors, on peut râler, se lamenter, grogner, mais pendant ce temps, les enfants visitent d'autres pays, et ils vont tous manger chez McDonald, regarder les mêmes films... Je suis peut-être vieux jeu, mais c'est quand même mieux que de s'entre-tuer. Et tout ça, c'est grâce à la politique.
   Ce que les gens veulent vraiment, dit le Patricien dans un des romans du Disque-monde, c'est que demain ne soit pas pire qu'aujourd'hui. Ils veulent élever leurs enfants, c'est tout ce qui les intéresse, ils ne voient pas plus loin que ça. Malheureusement, il y a beaucoup de gens comme ça dans ce pays - en général ils sont à la tête des journaux - qui utilisent avec délice des termes comme "Frog", seulement parce qu'un camionneur français a renversé quelqu'un. Ils ne réalisent pas à quel point ils sont stupides. C'est une honte que la belle idée d'Union Européenne ait changé à un tel point que des pays entiers sont devenus de simples copies de l'Amérique. Mais c'est tellement mieux qu'une troisième guerre mondiale ! Tout vaut mieux qu'une troisième guerre mondiale.

MM : Bien...
   T.P. :
Oh ! La prochaine fois on la fera aux États-Unis. Ils n'ont pas eu de guerre mondiale aux États-Unis ! Et on en a eu tellement en Europe. Ce serait intéressant une guerre mondiale au Wisconsin... certainement très amusant, avec Mickey et tout.


Dinosaure du jeu de rôles

Terry Pratchett, encore ! MM : Quand j'ai lu votre premier roman du Disque-monde, j'ai eu l'impression que vous vous moquiez un peu de Donjons & Dragons. Connaissez-vous les jeux de rôles ? Aviez-vous déjà pratiqué le jeu de rôles avant d'écrire le Disque-monde ?
   T.P. :
Quel âge avez vous ?

MM : Heu... 32 ans
   T.P. :
J'allais dire que j'ai fait ma première partie de jeu de rôles avant que vous ne soyez né. Mais en réalité j'ai fait ma première partie de jeux de rôles avant que vous n'alliez à l'école. Je me souviens de la grande époque de White Dwarf.

MM : Oui, je me souviens, le magazine de Games Workshop.
   T.P. :
Je crois qu'à l'époque, ça ne leur appartenait pas. C'était plutôt comme un fanzine. Tout était très ouvert. Le marché ne s'était pas encore défini clairement.

MM : Et à quels jeux jouiez-vous ? Donjons & Dragons ? D'autres ?
   T.P. :
Je dois à l'honnêteté de dire qu'à la base c'était Donjons & Dragons. Mais on rajoutait ce qu'on voulait aux livres; et on jouait plus ou moins librement. Lorsque j'avais 22 ou 23 ans, le gosse d'à-côté a eu les livres de AD&D à Noël. ça avait l'air intéressant. Et je m'y suis impliqué en écrivant des scénarios pour lui et ses amis. Et beaucoup de personnages et d'éléments du Disque-monde - comme la malle par exemple - ont été créés à l'origine pour des parties de AD&D. En fait, certaines des histoires de Colour of Magic ont été écrites ou adaptées en scénarios.

MM : Et quand on doit apprendre un sort pendant deux mois avant de le lancer, pour ensuite l'oublier, c'est typique de AD&D.
   T.P. :
Oui, mais n'oubliez pas que toute la matière de AD&D a été elle-même empruntée à d'autres personnes, comme Tolkien ou Jack Vance - surtout Jack Vance. Tout était tellement tassé et mélangé qu'il était difficile de dire ce qui était encore conforme à l'original. Jack Vance ! Il a eu une plus grande influence sur AD&D que ne le pensent la plupart des gens. Il a écrit deux livres en particulier, Un Monde magique et Cugel l'Astucieux, qui ont eu, je crois, une énorme influence sur les créateurs de AD&D.

MM : Et vous jouez toujours ?
   T.P. :
Non. J'aurais adoré m'impliquer dans le jeu de rôles grandeur nature. Je me souviens être allé à une rencontre où des écrivains confirmés enseignent à des apprentis écrivains. Et il y avait une très gentille dame anglaise de la classe moyenne qui avait une voix comme ça, vous voyez ? [il prend une voix de fausset un peu pincée]. Elle voulait écrire du fantastique, mais c'était très propre, une sorte de vision romantique. Il n'y avait aucune saleté, pas de merde. Je lui ai parlé du jeu de rôles grandeur nature. Elle était fascinée par ça ; alors je l'ai mise en contact avec des gens qui organisaient des grandeur nature. Et je l'ai revue environ six mois plus tard. Elle m'a dit que c'était magnifique ! [encore cette voix de fausset] J'ai passé toute la semaine à crapahuter. Elle avait tué, massacré... Et c'était une dame très comme il faut, avec des perles... Elle s'était éclatée à tuer des trolls, à courir dans les bois ; et ça avait énormément changé sa vie. Elle avait expérimenté l'aspect terre à terre de la fantasy en criant "Tuons-les !" sans aucune retenue.


Le dessous des cartes

MM : Bien, passons à autre chose. Que se trouve-t-il de l'autre côté du Disque-monde ?
   T.P. :
[Avec un air de conspirateur] C'est l'En-Dessous. Il n'y a rien d'autre que de la roche et de l'eau, et les dos des éléphants.

MM : Vous êtes sûr ? Parce que, comme vous avez fait des cartes du Disque-monde, vous êtes maintenant limité pour le développer.
   T.P. :
Il y a bien une espèce de carte, mais cela signifie-t-il qu'on ne peut plus rien découvrir...

MM : Oui, mais concernant les cultures ? Vous avez écrit des livres empruntant à la culture chinoise ou à la culture australienne. À ce propos, je sais que vous êtes allé en Australie ; c'était avant ou après l'invention du continent Xxxx ?
   T.P. :
Je suis allé en Australie en 1990. Je savais que j'aurais besoin d'une espèce d'Australie sur le Disque-monde. [silence] Je peux plus ou moins placer ce dont j'ai besoin dans les zones de la carte qui ne sont pas détaillées. Qui sait ce qui s'y trouve ? Le fait qu'il y ait beaucoup de plans de Londres n'empêche pas que de nouvelles histoires se déroulent à Londres. Peut-être que je me sentirai limité un jour, mais cela se produira longtemps après ma mort.

MM : Quand avez-vous tracé la première carte ?
   T.P. :
Je crois que c'était en 1995. Nous avons fait les rues d'Ankh-Morpork. Nous n'avons que deux cartes jusqu'ici : une d'Ankh-Morpork, et une du Disque-monde qui apparaît dans la plupart des derniers livres. Et nous sommes en train de faire une carte du domaine de Mort, sa maison et ses jardins. Paul Kidby y travaille. C'est superbe.


Où sont les toilettes ?

MM : Le Disque-monde a-t-il d'abord été un monde de jeu de rôles ?
   T.P. :
Quand j'écrivais des scénarios, ils se situaient sur le Disque-monde. Quand j'ai écrit The Colour of Magic et Light Fantastic il y avait beaucoup de navets littéraires, de la mauvaise fantasy ; beaucoup de magazines aussi faisaient de la mauvaise fantasy, surtout aux États-Unis. Et cela finissait par nous arriver en Angleterre. Ce qui a été traduit en français, c'est plutôt le meilleur. Et dans les conventions de science-fiction américaines on trouvait le pire ! Dans ces histoires, les Bons combattaient le Dieu Noir - il y avait toujours un Dieu Noir.
   Je me souviens d'une conférence au cours d'une de ces conventions, avec d'autres auteurs de fantasy. On devait expliquer comment concevoir une ville fantastique. Et tout ce dont ils parlaient c'était des ordres de chevalerie, des puissants... Bien. Il s'agit d'une grande cité, hein ? Alors deux questions seulement : comment fait-on entrer l'eau fraîche et comment fait-on sortir la merde ? Car tout au long de l'histoire, la grande préoccupation c'était ça : comment diable faire rentrer l'eau. Sortir la merde, ce n'est pas si difficile, car tôt ou tard on s'y habitue ; ou alors on l'utilise pour les champs, ou on la jette dans la rivière. C'est ce qu'on avait l'habitude de faire avec la Tamise jusqu'au milieu du siècle dernier, et ça puait terriblement !
   Bien sûr, ce qui nous occupe, c'est de la fantasy ; mais c'est ainsi qu'on trouve la matière de ses histoires. Si on sait comment fonctionne une ville du Moyen-âge, on peut imaginer comment elle fonctionnerait avec des trolls, des vampires, des golems, des dragons. Si on regarde attentivement la réalité, on peut parfois y trouver la saveur de la fantasy.
   L'auteur anglais G.K. Chesterton disait qu'il n'y a rien de magique dans la magie. Un sorcier fait Kazoum et une lumière apparaît. Il n'y a rien de magique là-dedans : c'est un sorcier ! Les sorciers font ce genre de choses. Maintenant, prenez une espèce de singe qui se tient debout. Il se développe. Et il creuse des mines. Et de ces mines, il sort du charbon. Et il se développe encore et il découvre qu'en brûlant ce charbon, il obtient du gaz. Et il amène ce gaz dans les villes pour les illuminer, et ainsi de suite. Il y a beaucoup plus de magie ici - où on a commencé avec le matériau brut de l'univers pour arriver à apporter la lumière là où la désire - que chez un sorcier qui fait Kazoum. Et cela donne l'occasion de beaucoup plus d'histoires. Car pour se procurer les matériaux et les transformer, il faut développer des échanges. Et les échanges créent de la politique. Et la politique peut mener à la guerre. Tout ça donne plein de possibilités d'histoires.


Le crépuscule des elfes

MM : Pensez-vous, comme Shakespeare, qu'il y a une opposition entre la magie et la technologie ? Car dans beaucoup de mondes fantastiques, lorsque la technologie se développe, la magie disparaît.
   T.P. :
Non, je réfute le cliché que la technologie chasse la magie. La magie du Disque-monde fait partie de celui-ci au lieu d'être utilisée au quotidien. Une partie de la technologie du Disque-monde est de la magie. Mais généralement, la technologie fonctionne pour tout le monde alors que la magie ne fonctionne que pour ceux qui sont entraînés à s'en servir. C'est pourquoi la technologie peut supplanter la magie. [silence] Les mages du Disque-monde peuvent passer des années à déclencher un sortilège. Généralement, il est plus facile et beaucoup moins dangereux de ne pas faire appel à la magie. Les mages de l'université d'Ankh-Morpok n'utilisent pas la magie ; ils la considèrent comme une sorte de force nucléaire beaucoup trop dangereuse par rapport à ce qu'elle rapporte.
   Mais la technologie elle-même est une sorte de magie. Par exemple, prenez les chemins de fer. En Angleterre - le premier pays qui en ait eu - les chemins de fer ont changé la nature du temps. Avant, vous aviez une heure donnée au clocher de Lexington ; et à Exeter vous pouviez avoir un décalage d'un demi-heure plus tôt ou plus tard. Mais qui s'en souciait ? Les deux villes étaient à deux jours de distance. Dans tous le pays, les pubs fermaient à une heure différente, mais ça n'avait pas d'importance. Quand les chemins de fer arrivèrent, les gens eurent besoin de savoir l'heure à cause des horaires des trains. Et maintenant vous pouviez aller de Londres à Exeter tellement vite que l'heure qu'il était devenait importante. Alors les pendules commencèrent à se synchroniser. Ça c'est la magie de la civilisation !