Au musée du pain de nain, dans la ruelle Tourniquet, monsieur Hopkinson, le conservateur, était en émoi. Entre autres, il venait de se faire assassiner. Mais, pour l'instant, l'incident, certes contrariant, passait cependant à ses yeux pour secondaire.
On l'avait tué à coups de miche de pain. Un acte impensable même dans la pire des boulangeries humaines, mais le pain de nain bénéficie de propriétés étonnantes d'arme d'attaque. Pour les nains, cuire du pain participe de l'art de la guerre. Quand un pâtissier nain confectionne des rochers, ce ne sont pas des paroles en l'air.
" Regardez-moi ça, il est ébréché, fit Hopkinson. La croûte est fichue !
- VOTRE CRANE AUSSI, dit la Mort.
- Oh, oui", reconnut Hopkinson du ton de l'homme persuadé qu'on trouve des crânes à la pelle mais conscient de la rareté, donc de la valeur, d'une bonne exposition de pain. " Un simple gourdin aurait bien fait l'affaire. Ou même un marteau. J'aurais pu en fournir un si on m'avait demandé.
La Mort, lui-même sujet aux troubles obsessionnels par nature, comprit qu'il se trouvait en présence d'un maitre. Feu monsieur Hopkinson avait une petite voix aiguë et portait ses lunettes au bout d'un ruban noir - son fantôme portait à présent leur équivalent immatériel-, signes avérés d'une mentalité à cirer le dessous des meubles et ranger les trombones par ordre de taille.
"Ce n'est vraiment pas bien, poursuivit monsieur Hopkinson. Et ingrat de leur part, moi qui les ai aidés pour le four. J'ai bien envie de porter plainte.
- MONSIEUR HOPKINSON, EST-CE QUE VOUS VOUS RENDEZ REELLEMENT COMPTE QUE VOUS ETES MORT ?
- Mort ? roucoula le conservateur. Oh, non. Pas possible que je sois mort. Pas en ce moment. Ca tombe franchement mal. Je n'ai pas encore entré les petits pains de combat au catalogue.
- QUAND MEME.
- Non, non. Je regrette, mais ça ne va pas. Vous allez attendre. Je ne veux pas qu'on m'embête avec des bêtises pareilles. "
La Mort était déconcertée. La plupart des gens, passé le premier désarroi, se sentaient soulagés à l'heure du trépas. On leur avait ôté un poids du subconscient. Ils n'avaient plus mal aux dents. Le pire était passé et ils pouvaient, métaphoriquement, continuer de vivre. Peu d'entre eux y voyaient une contrariété dont ils pouvaient s'affranchir en protestant suffisamment fort.
La main de monsieur Hopkinson passa à travers le plateau d'une table. "Oh
- VOUS VOYEZ ?
- C'est inqualifiable. Vous n'auriez pas pu trouver un moment plus adéquat ?
- UNIQUEMENT APRES CONSULTATION AVEC VOTRE MEURTRIER.
- Tout ça me parait très mal organisé. Je veux déposer une réclamation. Je paye mes impôts, après tout.
- JE SUIS LA MORT, PAS LES IMPOTS. MOI, JE N'ARRIVE Q'UNE SEULE FOIS."
L'ombre de monsieur Hopkinson commença de s'estomper.
"C'est que je me suis toujours efforcé de tout prévoir à l'avance de manière rationnelle...
- LE MIEUX, JE TROUVE, C'EST DE PRENDRE LA VIE COMME ELLE VIENT.
- Ca me paraît très irresponsable...
- A MOI, CA M'A TOUJOURS REUSSI."
© Terry Pratchett
|